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Du XIVe au XIXe

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La Porte de l’enfer. Auguste Rodin.


Localisation :

Porte de l’Enfer. 1928. Bronze. Musée Rodin. H : 6,35 m ; L : 4 m.

Porte de l’Enfer. 1917. Plâtre. Musée d’Orsay. H : 6, 35 m ; L : 4 m.

La Porte de l'Enfer. Auguste Rodin.
La Porte de l'Enfer.
Musée Rodin.
La Porte de l'Enfer. Auguste Rodin.
La Porte de l'Enfer.
Musée d'Orsay.
La Porte de l'Enfer. Auguste Rodin.
La Porte de l'Enfer.
Musée Rodin à Meudon.
La Porte de l'Enfer. Auguste Rodin.
La Porte de l'Enfer. Détail.
Musée Rodin.
La Porte de l'Enfer. Auguste Rodin.
La Porte de l'Enfer. Détail.
Musée Rodin.
La Porte de l'Enfer. Auguste Rodin.
La Porte de l'Enfer. Détail.
Musée Rodin.
La Porte de l'Enfer. Auguste Rodin.
La Porte de l'Enfer. Détail.
Musée Rodin.

Porte de l’Enfer. 1900. Plâtre. Musée Rodin, Meudon. H : 5,20 ; L : 3,88

Porte de l’Enfer. Bronze. Philadelphie (1928) ; Tokio (1930) ; Zurich ; Stanford (1981) ; Shizuoka (1992);  Séoul (1997).

 

Historique :

Le 16 août 1880, Auguste Rodin, reçoit une commande de la Direction des beaux Arts, pour une Porte décorative (avec un paiement prévu de 8 000 francs).

A l’origine cette œuvre devait être la porte d’entrée du musée des arts décoratifs (prévu pour être construit sur les ruines de la Cour des Comptes incendiée, lors des affrontements de la commune de Paris, en 1871).

La Porte de l’Enfer devait être réalisée dans le même esprit que les Portes du Baptistère de Florence, exécutées par Lorenzo Ghiberti (Les Portes du Paradis).

A l’origine, la Porte devait être consacrée à l’illustration de la Divine Comédie de Dante. L’idée est sans doute de Rodin, le maître ne se déplaçant jamais sans « son Dante » en poche. Il connaissait par coeur de nombreux passages du poème allégorique de la Comédia.

Rodin conçoit une maquette en cire sur bois, illustrée par dix scènes toutes chargées de multiples personnages. Très vite, ses dessins montrent qu’il réduit son travail en six panneaux, où apparaît déjà le Penseur.

En 1881, il prévoit de joindre à son ébauche, sur les côtés, deux sculptures: Adam et Eve, qu’il abandonne par la suite.

Suite à ses nombreuses études et demandes, dés 1881, il obtient que la somme initiale passe de 8 000 à 18 000 francs. L’œuvre sera monumentale : 4,50 m sur 3,5m, flanquée de deux figures gigantesque (Adam et Eve), composée de bas-reliefs et de multiples sculptures en ronde-bosse.

Il renonce au découpage en six panneaux. Il crée une deuxième maquette présentant un tympan et deux vantaux pour gagner en rigueur et simplicité. Les deux pilastres pour encadrer la Porte viendront plus tard.

Il élabore une troisième maquette dans laquelle on distingue le Baiser qui disparaîtra dans les derniers aménagements. La vision idyllique inspirée par ces deux amants, évoque trop le pur bonheur opposé aux images du désespoir et de douleur que Rodin veut faire surgir des affres de l’Enfer. De la Divine Comédie, il ne conservera que les Chants de l’Enfer.

Dans le même temps, il dessine sans cesse, où qu’il se trouve, sur les feuilles de ses carnets, à la gouache et à l’encre de chine noire ou brune, des centaines de personnages venus de l’Enfer de Dante, de la mythologie, des Métamorphoses d’Ovide, des légendes séculaires, des Fleurs du mal, de Villon… Il modèle chaque pièce et c’est dans la terre qu’il trouve les formes qui naissent sous ses doigts. Il les place dans le tympan et les vantaux, les retire, essaie encore… associe des figures entre elles. Seul le Penseur a trouvé définitivement sa place au milieu du tympan, entouré des damnés.

En 1884, il passe commande pour la fonte, mais au début de l’année 1885, sa Porte ne le satisfait plus. « Trop chargée, les figures en relief trop saillantes », ombres et lumières ne lui conviennent plus.

Il modifie encore la Porte jusqu’en 1895. « Il faut que je finisse ma Porte que j’ai abandonnée et après je retourne aux Bourgeois. » Les photographies prises alors dans son atelier montrent que la Porte a acquis à cette époque, son état pratiquement définitif. Puis il semble l’abandonner pris par d’autres commandes.

En 1900, il décide de montrer la Porte de l’Enfer au public, au pavillon de l’Alma, en marge de l’Exposition Universelle. Mais Rodin démonte pendant l’hiver 1899-1900, la plupart des figures et groupes de l’oeuvre. Les raisons de ce changement sont diverses : d’une part, la Porte était difficile à transporter en l’état, avec tous ses personnages ; d’autre part sa technique avait évolué depuis la commande de 1880 (il trouvait excessif le contraste entre les creux et les saillies, il souhaitait dépasser le principe du relief illusionniste hérité de la Renaissance) ; enfin il voulait que sa Porte apparaisse comme souffrance et désespoir, mais d’un seul tenant, sans ruptures, dans toute son unité. Dépouillée de ses personnages, La Porte perdit une grande partie de son intérêt et l’œuvre n’eut pas le succès prédit par les rares personnes qui l’avait vue, dans l’atelier de Rodin.

Après 1900, Rodin fait encore quelques retouches à la marge (une draperie, un masque douloureux, un relief atténué…) Il replace, sur son plâtre, des figures telles qu’elles l’étaient en 1895, mais c’est un éternel insatisfait, toujours en recherche d’un détail à améliorer, encore et encore… Ses amis savent pertinemment qu’il ne finira jamais sa Porte de l’enfer. Rodin sait qu’ils ont raison, car c’est l’œuvre de toute sa vie. Elle s’achèvera avec lui, à sa mort en 1917.

Juste avant que Rodin ne meure, Léonce Bénédite, futur conservateur du musée Rodin,  restaure le plâtre de l’exposition de 1900, en remettant à leur place, les personnages et groupes disparus (grâces aux repères très précis relevés lors du démontage de 1899-1900).

De la Porte de l’Enfer, Rodin a extrait de nombreux groupes et figures qui sont des œuvres à part entière, autonomes, comme le Penseur, l’Homme qui tombe, Ugolin dévorant ses enfants, Paolo et Francesca, Polyphème, la Cariatide, la Nymphe Salamis, le Baiser, la Méditation,….


Le plâtre de 1900 est au Musée Rodin de Meudon. Il reste dépouillé de ses figures.

Le plâtre du Musée d’Orsay est celui restauré par Léonce Bénédite, en 1917 (à partir d’une copie du plâtre de 1900). Les figures vues en 1895 ont retrouvé leur place.

Le bronze du Musée Rodin a été fondu en 1928. Il est l’œuvre du fondeur, Alexis Rudier.

Trois autres bronzes ont été exécutés par Alexis Rudier, ceux de Philadelphie, Tokio,  Zurich.

Trois bronzes ont été exécutés plus tard, par la fonderie de Coubertin pour Stanford (1981), Shizuoka (1992) et Séoul (1997).

 

Description des éléments principaux :

Au-dessus du chapiteau de la Porte, dans le tympan : le Penseur. Il est assis, le corps penché en avant, le bras droit fléchi, coude posé sur la jambe gauche. Le menton et la chair de ses lèvres appuyés sur son poing. Son regard plonge parmi les damnés inscrits sous le tympan, comme happé par le gouffre vertigineux. Le Penseur, c’est Dante lui-même, au-dessus de l’Enfer.

Sous le chapiteau, les deux vantaux. Au bas du vantail gauche, Ugolin dévorant ses enfants. Ugolin maigre, décharné, animal terrifiant et affamé, la bouche avide et effrayante, rampant au-dessus de ses enfants morts ou à l’agonie ; prêt à les dévorer. Juste en dessous, Paolo et Francesca de Rimini, amants universels dépouillés de leur temporalité, nus, eux qui ont commis le péché de chair. Ils flottent, amours enlacés, emmenés par les vents de l’Enfer ; damnés éternels pour un baiser interdit. Au pied du pilastre droit, on trouve une autre représentation des deux amants : un couple enlacé, rappelle le Baiser.

Au sommet du vantail gauche, accroché au linteau, l’Homme qui tombe sort du cadre, mis en relief, alors que les autres personnages semblent s’enfoncer dans la noirceur du bronze et les ombres mouvantes. Il cambre son corps, la tête rejetée en arrière dans un dernier acte de désespoir qui le précipitera dans une éternelle chute à venir, aux Enfers.

Epris des Fleurs du mal, Rodin associe l’Homme qui tombe à la Femme accroupie pour créer l’ensemble Je suis belle, accroché au sommet du pilastre droit. « Je suis belle, ô mortels, comme un rêve de pierre / Et mon sein où chacun s’est meurtri tour à tour… ».

Au-dessus de Je suis belle… Les Métamorphoses d’Ovide. La représentation de deux corps tendrement enlacés est osée : la nymphe Salamis amoureuse de l’hermaphrodite, embrasse son corps de ses bras. Dans leur empressement leurs deux corps n’en font plus qu’un.

Dans la partie supérieure du vantail droit : une petite figure, le Désespoir, incarné par une femme assise, tête baissée et cachée, une jambe repliée, l’autre tendue à l’extrême, verticale. Elle emprisonne de sa main, d’un geste impossible, son pied : attitude prodigieuse ! L’allégorie est nouvelle, non conventionnelle et surprend par son audace. Plus bas, deux Polyphèmes penchés sur le rocher qu’ils s’apprêtent à précipiter dans l’abîme. Ils rappellent tous deux, le cyclope des Métamorphoses d’Ovide, jaloux des amours de la nymphe Galatée. Juste en dessous insouciants la nymphe et le berger Acis au bord de la grotte. Ils s’aiment mais n’échapperont ni à la jalousie des monstres, ni au rocher qui va fondre sur eux.

Au bas du vantail droit, Fugit Amor. Comme Paolo et Francesca, les corps nus de ces jeunes amants sont emportés par les vents furieux de l’Enfer. Mais l’œuvre symbolise la faute qui accuse la femme. L’homme, le corps allongé, retourné, inanimé, face au ciel ; porté sur le dos cambré vivant encore de la jeune femme. Elle l’entraîne, victime promise à la damnation.

Dans le tympan, la horde des damnés se presse derrière le Penseur. D’abord les formes fines et graciles du Torse d’Adel, comme agrafé à l’angle supérieur gauche. De la cambrure exagérée de ce corps offert, émanent mêlés, douleurs et désirs ; les bras projetés en arrière comme pour une crucifiée. Orphée enlevé par les Ménades, la Faunesse à genoux au visage animal, élevant au-dessus d’elle le corps disloqué de la Martyre. Puis tout près du Penseur, la Femme accroupie, corps replié sur lui-même, comme écrasé, pose torturée et lascive, les jambes tordues, écartées, une main sur le sein, le visage semblant apaisé. Enfin, la foule des damnés hommes et femmes confondus qui se ruent, magma de chair, qui se poussent, se heurtent, piétinent les corps étendus au sol… et soudain à l’extrémité du tympan, avant de chuter aux enfers, comme refluant à contre sens, freinant cette marche pourtant sans retour, la grâce et la beauté absolue de la Méditation ; jeune femme penchée gracieusement sur le côté comme pour éviter, s’extraire des damnés… mais il est déjà trop tard.

Dans l’angle supérieur gauche de la Porte, la Cariatide à la pierre, variante de la Femme accroupie. La femme souffre sous la douleur infligée par la pierre, mais la souffrance voulue par Rodin est aussi de nature spirituelle ; écrasée sous la charge qui l’anéantie, elle n’est pas debout comme les Cariatides grecques, mais accroupie. Sa tête penchée sur l’épaule adoucit la souffrance, cachée en partie par les volutes de la tenture qui caressent son dos arrondi.

Plus bas, Celle qui fut la Belle Heaulmière, vieille femme assise de profil, épaule voûtée, corps nu enlaidi par les ans et décharné, les membres tordus, sarments sec.

Au-dessus de la Porte, les Ombres. Trois figures anonymes et identiques pour alléger le poids et la géométrie de la Porte. Même personnage vu sous trois angles différents. Les Ombres s’inscrivent dans un carré parfait. Leur tête penchée dessine et amorce la ligne des épaules. Les mains droites ont été tranchées, mais confirment le geste unique ; trois bras mutilés se tendent au centre du carré, et semblent désigner en dessous, dans le tympan, le Penseur – Dante – méditant sur l’Enfer et le désespoir des Hommes. « Lasciate ogni speranza voi ch’entrate » (« Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance. » Dante. La Divine Comédie. L’Enfer).

 

Bibliographie :

- Rodin, La Porte de l’Enfer. Antoinette Le Normand-Romain.  Diffusion Musée Rodin. Paris. 1999.

- Catalogue sommaire illustré des sculptures. Anne Pingeot, Antoinette Le Normand-Romain, Laure de Margerie. Paris. 1986.

- Rodin. Monique Laurent. Chêne – Hachette. Paris 1988.

- Rodin. Le musée et ses collections. Jacques Vilain, Claude Judrin, Antoinette Le Normand-Romain, Alain Beausire, Hélène Pinet, Hélène Marraud. Editions Scala. Paris, 1996.

- Anne Pingeot. La Revue du Musée d’Orsay, N°11. Paris 2000.